ABSTRACT

Dans son livre paru en 1890, Georges Rodier voit en Straton le premier représentant d’un compromis entre la physique dynamique d’Aristote et celle mécaniste de Démocrite. Sorti du Peripatos, “il n’est pas possédé sans réserve de l’esprit de cette école” et c’est autour du problème de la “pesanteur” que, selon Rodier, Straton va appliquer cette méthode du compromis de manière privilégiée.1 Sur ce point de sa philosophie, qui nous intéressera ici, comme sur les autres, la question classique est de savoir si les innovations conceptuelles que l’on peut identifier chez lui correspondent à des manières de s’inscrire dans l’ “esprit” de cette école, de prolonger des pistes aristotéliciennes ou de rompre avec une certaine physique. Le jugement que l’on peut émettre sur ce point dépend aussi de celui porté sur l’histoire du Peripatos depuis Théophraste: Straton poursuit-t-il une refonte de la

physique aristotélicienne entamée par Théophraste ou ses corrections ont-elles pour objet de simplifier, consolider, défendre la cosmologie péripatéticienne?2 Certains témoignages, à charge, en donnent l’image d’un “renégat.”3 Straton serait non seulement celui par lequel commence, selon Cicéron (De finibus V 5 13 = 8A), la dégénérescence du Peripatos, mais aussi celui qui se serait le plus explicitement désolidarisé des principales thèses du fondateur de son école. Straton est connu pour avoir mis toute force divine dans la nature (Cic., De natura deorum I 13 35 = 19A) et pour avoir proposé une explication du monde au moyen de “poids et mouvements naturels” (Cic., Academica II 121 = 18, 11-12). Ce que confirme son refus de la causalité du moteur immobile, et ce, dans la suite des critiques de Théophraste. Le témoignage de Plutarque (Adv. Coloten XIV 1115 b = 20) affirme son désaccord avec Aristote “sur de nombreux points” et son opposition à Platon: au contraire de ce dernier, pour lui, le monde n’est pas un vivant4; pour lui, et contre cette fois Platon et Aristote, ce qui est selon la nature suit (ἕpiσθαι) de ce qui est selon la fortune (κατὰ τύχην), car il a mis le hasard (τὸ αὐτὸματον) au principe de ses explications physiques.